La Maison de l’Espagne est située au 7 ter et 9 rue Mignet à Aix-en-Provence, au cœur d’un quartier chargé d’histoire :

Tout commence en 1292, où Charles II d’Anjou (dit « Le Boiteux », Roi de Naples et Roi de Sicile, Comte d’Anjou et Comte de Provence, fils de Charles Ier d’Anjou et de Béatrice de Provence et petit-fils de Blanca de Castilla et parent de René Ier d’Anjou également dénommé René Iᵉʳ de Naples ou René de Sicile dit le « Bon Roi René) fonda le Couvent des Dominicaines de Sainte-Marie-de-Nazareth, sous l’actuel Collège Mignet. C’est là qu’il y mit sa fille, la princesse Béatrix, afin de parfaire son éducation et sa foi (ce qui fut un échec). Charles II d’Anjou décède en 1309, et son corps est alors momifié puis enseveli dans les sols de sa propre église.

Une soixantaine d’années plus tard, les Dominicaines abandonnèrent le couvent qui est alors détruit et reconstruit dans le faubourg Bellegarde. La dépouille de Charles II d’Anjou a également été déplacée dans la nouvelle église, qui fut par la suite occupée par d’autres religieuses au fil du temps.

En 1413, cette dite église servit de modèle de construction pour d’autres lieux saints (comme l’église de la Madeleine), et en 1679, l’endroit prit de l’ampleur puis devint Monastère Royal, portant alors le nouveau nom de Notre-Dame-de-Nazareth. Mais à la fin du XVIIème siècle, un incendie ravageur détruisit une bonne partie des lieux, restaurés plus tard en 1727.

C’est en 1792 que les dernières religieuses quittèrent définitivement le couvent, en pleine période de Révolution Française. Il fut alors morcelé puis vendu en lots afin de servir d’habitat. Alors acquis par plusieurs âmes, l’un d’eux a donc fini par abriter entre ses murs, depuis 1998, notre association La Maison de l’Espagne – Fondation Hispanophone de Provence.

Mais de nos jours, un mystère perdure encore…

Où est donc passé le cercueil de Charles II d’Anjou, enterré 6 siècles plus tôt ?

rue Mignet

Vue de la rue Mignet

Charles II

Charles II d’Anjou

La Maison de l’Espagne siège dans des murs chargés d’histoire. Et en voici un résumé de ces 8 derniers siècles :

Tout commence avec les Dominicaines (terme qui renvoie à deux types de religieuses catholiques en lien avec l’ordre dominicain (ou ordre des Prêcheurs) que sont les sœurs contemplatives et les sœurs apostoliques). Quelques-unes d’elles quittent le Lauragais pour Marseille où elles s’installent en 1286-1287. Quatre sœurs furent députées de Prouille afin d’occuper les lieux où Frère Raymond Botini assuma la charge de prieur tandis que Mathilde de Forcalquier occupait celle de prieure. Modestement hébergées par de riches bourgeois marseillais, elles n’y demeurent que de brèves années, et furent bientôt orientées par le roi Charles II d’Anjou, roi de Naples, roi de Sicile et de Jérusalem et comte de Provence, vers la cité d’Aix-en-Provence, pour un «plus seigneurial destin». Loin de l’idée d’itinérance, elles sont d’abord installées dans la bastide royale de la Duranne, en novembre 1290, où les sœurs se trouvent trop isolées. Un nouvel achat foncier permet à Charles II d’Anjou de les loger, à côté des murs de la cité. En 1292, au moment du transfert du couvent contre les murailles d’Aix-en-Provence, les Prêcheurs sont déjà présents à là-bas, non loin d’un important lieu de pouvoir, le palais comtal. Le dévolu des Dominicains et, plus généralement, des Mendiants, se fixe sur les «grandes et moyennes villes». Aix-en-Provence, en plein essor démographique et économique, est propice à l’installation raisonnée des sœurs de Nazareth. Ce couvent qui a l’obligation de faire œuvre d’assistance devra recevoir 100 religieuses dont 10 converses. La construction du couvent, ordonnée par Charles II d’Anjou, dure de 1293 à 1297, vraisemblablement pour une première campagne de travaux. En 1298, l’archevêque consacre le cimetière. Mais en 1301, on acquiert encore des parcelles pour agrandir le jardin rogné par les récentes constructions. Enfin, à cette date, on travaille encore à l’édification du dortoir et des murs de clôture.

Une des particularités de ce couvent féminin, c’est la rareté, car on peut admettre que les maisons de femmes sont assez peu nombreuses chez les Dominicains. Cette fondation se fait à la demande d’un laïc, en l’occurrence le Roi, dans la plus pure tradition capétienne. Une sorte de politique du lignage s’exerce par le biais de ces fondations, et les couvents royaux sont des lieux où se perpétue la mémoire et s’affermit le pouvoir. C’est une véritable seigneurie ecclésiastique. Le répertoire des plus anciens titres des Dominicaines d’Aix-en-Provence n’analyse pas moins de 120 actes. Parmi eux figurent 31 donations, 6 legs, concernant immeubles et cens. Le patrimoine de l’établissement pourrait avoir été considérable. C’est aussi une résidence royale, Charles II d’Anjou y séjournait régulièrement. L’autre aspect est d’ordre social, il concerne la politique de recrutement, une liste dressée en 1318 recense 82 religieuses. Parmi elles, la propre fille du roi Charles II d’Anjou, la fameuse Béatrix d’Anjou, ainsi que des lignages de Provence, filles des Baux, de Meyrargue, de Puyricard, d’Eguilles, de Sabran, de Lamanon, de Roquevaire… Apparaissent encore des patronymes illustres, la famille Etendard, connétable du royaume (normand), ou des familles de moindre envergure tels les Esparron, Artaud de Venel, de Meyreuil, ou encore des filles de riches marchands. On note une majorité de nobles et des liens forts avec la bourgeoisie. Le bassin de recrutement est vaste, il va bien au-delà de la Provence. La vocation à l’instruction reconnue pour les couvents dominicains, rarement soulignée pour cet établissement, est pourtant pressentie à travers ce recrutement juvénile. Le retour dans le siècle et le destin laïc choisi pour Béatrix d’Anjou par son père après plusieurs années passées au couvent, placé sous le vocable de Notre-Dame-de-Nazareth, en est l’illustration. Enfin, on se trouve assez loin de la mystique pauvreté, car le train de vie mené dans le monastère est vraiment aristocratique. Le soin apporté à l’alimentation, l’équilibre et la variété des espèces consommées (viandes et poissons), le luxueux mobilier monogrammé, l’inventaire des biens et droits, le rayonnement du couvent à travers les textes trahit l’opulence de l‘institution.

Notre-Dame-de-Nazareth (actuellement, ensemble du Collège Mignet et du bâtiment dans lequel se situe La Maison de l’Espagne) est décrit comme «un des plus beaux bâtiments de la ville». Le programme architectural du groupe conventuel organise, dans une vaste propriété, d’après les descriptions faites dans les textes, de nombreux corps de logis, bâtiments religieux et dépendances diverses, articulés autour de cours ou d’espaces libres, de jardins, le tout cerné d’une importante clôture. L’espace religieux, enceinte d’une muraille pour «s’éloigner des manières du monde», se divise traditionnellement en plusieurs parties que sont la clôture réservée aux moniales (cloître, salle capitulaire, scriptorium, dortoir, réfectoire), les secteurs d’accueil (l’hospitium), les espaces dédiés à la vie matérielle (bâtiments de ferme, écuries, étables, avec les jardins, les terres agricoles), une clôture pour les moines qui dirigent en fait cette abbaye de femmes et des bâtiments destinés à l’étude et divers bâtiments pour loger ceux qui travaillent dans le couvent. Il comporte au moins une église (abbatiale), accessible à tous.

Les maçonneries observées dessinent un réseau de constructions orthonormées et synchrones, comprenant une grande salle rectangulaire de plus de 120 m2, des communs (cuisines, annexes) ainsi que des espaces extérieurs incluant un puits monumental, des fosses dépotoirs. D’autre part, une partie de la zone de jardins et de cultures a été reconnue, et, pour ce qu’on peut en voir, se situe à l’ouest et au sud de la parcelle, comprenant l’existence d’un corps de bâtiments avec cour dans ce secteur. Fermé à l’ouest et à l’est par d’importants murs de clôture, ce secteur est agrémenté de plantations et de fontaines. Les nombreux éléments liés à l’eau retrouvés dans l’enceinte du monastère au cours des travaux de fouilles comptent aussi un fragment de margelle de puits en terre cuite de style arabo-andalou, différents caniveaux et de probables latrines mises au jour lors de la toute dernière campagne.

Aux alentours de la cité aixoise, les 4 ordres mendiants (Augustins, Carmes, Mineurs et Prêcheurs), s’établissent tous au XIIIe s., hors de la ville, dans les bourgs en limite des remparts, dans la proximité des routes et des portes. La protection que Charles II d’Anjou accorde aux Dames de Nazareth place leur couvent en position prépondérante parmi les autres institutions religieuses aixoises. L’établissement est qualifié, dans les textes, de” monasterium dominarum”.

Les Dominicaines sont présentes au sud de la ville, faisant pour ainsi dire face à la commanderie des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, à une distance de moins de 200 mètres. Cette autre grande fondation comtale, plus ancienne, sépulture ancestrale de la dynastie des comtes angevins, était liée physiquement et symboliquement au palais comtal par la voie d’Italie. Cette double marque de l’emprise comtale, confirmée par le recrutement des moniales issues de l’élite aristocratique, distinguait le couvent des Dominicaines de Notre-Dame-de-Nazareth, des autres couvents mendiants. Contrepartie féminine du couvent royal de Saint-Maximin, le couvent des Dominicaines de Notre-Dame-de-Nazareth reflétait les véritables préférences de la maison fondatrice en cette fin du XIIIe siècle, alors que la reconstruction de l’église des Hospitaliers, entreprise par Charles Ier d‘Anjou entre 1272 et 1277 environ, avait été motivée par la volonté de confirmer et d’afficher la légitimité de la succession dynastique. Cette qualité particulière qui devait se distinguer dans l’architecture du bâti monastique proprement dit, mise en évidence par des témoignages archéologiques, se reflète encore dans les structures retrouvées en fouille et surtout dans le mobilier archéologique. Ainsi se dessine l’image fantôme d’un complexe monastique vaste et singulier, dont l’envergure devait sans doute égaler, sinon éclipser, celle de la commanderie proche.

Les couvents d’Aix-en-Provence et de Saint-Maximin sont l’œuvre « d’amour et de gratitude » d’un seul patron, Charles II d’Anjou, envers l’ordre de Saint Dominique. Mais des motivations d’ordre politique ont pu également accompagner le souverain dans ses élans de charité. À son arrivée au pouvoir, la cité aixoise restait encore la favorite des Comtes catalans et de Toulouse (Maison de Barcelone), appuyée notamment par l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. La ville d’Aix-en-Provence, et la Provence plus généralement, passe, non sans opposition, de la tutelle catalane à celle des capétiens d’Anjou (les capétiens forment traditionnellement la troisième dynastie des rois de France, dont fait naturellement partie Charles II d’Anjou). Et c’est dans ce contexte, à la fois peu propice et instable, que le roi Charles II d’Anjou, comte de Provence, affermit ses ambitions et ses positions. La fondation aixoise se fait au moment où la ville est en pleine expansion. Celle de Saint-Maximin, bien que plus modeste, est idoine (développement du bourg, collecte de droits sur les marchés, boucherie, protection de la communauté juive…). Saint-Maximin est sur le chemin des villes portuaires de Toulon et d’Hyères (monopole du sel, droits de gabelle, portes vers la Terre Sainte…). La route d’Aix-en-Provence à Nice est aussi un axe très important pour la basse Provence). Par une série de libéralités, Saint-Maximin devient fief royal et le bourg sort de la juridiction de Saint-Victor de Marseille. La fondation varoise, à l’inverse des autres couvents, est située à l’intérieur des murs du bourg. Ambitieuse, elle s’accompagne d’un événement d’importance, l’invention des reliques de la Benoiste Magdalaine, dont les moines auront la garde. Pour abriter les saints restes, il fallait une basilique que Charles II d’Anjou voulait vaste, car destinée à accueillir les foules de grands pèlerinages à venir. Dans l’architecture qui est encore visible, la majesté des bâtiments (mise en œuvre et ampleur du programme) et l’esprit de pauvreté s’opposent, à l’instar du couvent aixois. Outre les constructions, le roi octroie la somme de 10 livres par frère pour l’entretien annuel du Couvent de Saint-Maximin, qui devra abriter 100 frères. Il verse, en 1295, 250 livres pour les 25 frères présents au moment de la fondation de ce dernier. En 1297, il confie aux sœurs de Nazareth une rente de 1000 livres spécifiant qu’elle reviendrait aux Prêcheurs de Saint Maximin dès que leur couvent atteindrait l’effectif idéal de 100 religieux. Cette rente sera acquittée de façon immuable par trésorerie royale jusqu’au XVe s. En imposant ces 2 fondations majeures et particulièrement ostentatoires, le pouvoir royal, et partant, la dynastie angevine, prennent pleinement leurs marques. La Provence s’intègre progressivement au royaume capétien.

Le quartier de Bellegarde
Extrait du plan
d´Aix-en-Provence
François de Belleforest (1573-1575).
1.Saint Sulpice.
2.Couvent des Prêcheurs.
3.Palais Comtal et Parlement de Provence.
4.Couvent des Dominicaines de Notre Dame de Nazareth. (Emplacement actuel de La Maison de l´Espagne.

 

Le prestigieux couvent fut transféré, précisément en 1377, dans un nouveau faubourg dit «Naurabet», dans l’actuel quartier Bellegarde (La Maison de l’Espagne) qui allait être inclus dans la ville d’Aix-en-Provence, dans la seconde moitié du XIVe siècle. Ce déplacement vers l’intérieur des remparts, au-delà des craintes liées à l’insécurité du siècle, traduit également une forte volonté d’intégration au noyau urbain. Le 2 juin 1377, l’archevêque de Posillac obtient un accord entre le Chapitre et les religieuses pour ce transfert et la construction d’un nouveau monastère. Installées dans un premier temps assez sommairement, leur nouvelle église, dédiée à Saint Barthélemy (La Maison de l’Espagne), sera consacrée le 17 janvier 1501. Le couvent se trouvait à l’intersection des actuelles rues Suffren et Mignet. À cet endroit, on peut encore observer des modénatures sur l’une des portes et les traces d’un grand portail. L’abbé Marbot rapporte également la présence de «bâtiments contigus qui n’ont point l’aspect de maisons privées”. C’était là, le monastère des Dominicaines, dites Dames de Saint-Barthélemy». En 1679, la communauté comptait encore soixante religieuses. Le Couvent des Dominicaines de Notre-Dame-de-Nazareth, toujours «royal» selon les vœux de Louis XIV (et placé sous le régime de la commande), n’avait plus que dix moniales à la veille de la Révolution Française, durant laquelle il fut détruit. De même que la dépouille du roi Charles II d’Anjou, qui y avait été transférée au XIVe s, disparue à la révolution et encore introuvable à ce jour.

]Religiosa de la orden no reformada de las dominicas instalada en el convento dedicado a san Bartolomé
Religieuse de l’ordre non réformé des Dominicaines installées dans le couvent consacré à Saint Barthélémy.

Sources :

La Maison de l’Espagne, 7 ter rue Mignet, en 1998 :

En 1998
En 1998